Hugo Clément est venu

 

Il a coulé beaucoup d’encre sur ce reportage. Faisant partie de l’aventure, j’ai ressenti moi aussi l’envie de jeter quelques mots dans la marmite. Il m’a fallu un peu de temps pour y voir clair, trouver du recul et  pouvoir en tirer ces 3 parties (+ un bonus) :

 

 

Le tournage
Le film

Mon avis sur la question

Films et livres pour creuser le sujet

 

 

Le tournage

 

 

 

Je voudrais commencer ce texte en disant qu’il y a 10 ans, quand j’ai voulu aller bosser dans les bois et titiller de la tronçonneuse, personne ne parlait forêt. J’ai toujours fui les lieux où les foules se ruent. La forêt sauvage, la rudesse des gens du bois et l’apprêté du travail de bûcheron me semblait un ailleurs sauvage où je saurais trouver la satisfaction de me plonger dans l’inconnu. Mieux encore, j’ai trouvé dans la tentative de compréhension de l’écosystème un challenge intellectuel insatiable que je pouvais raconter dans mes livres.

 

Ça a changé depuis, livres et  films ont créé une nouvelle tendance, et on parle d'arbres et de forêt bien plus souvent. D’un point de vue extérieur (je ne suis pas de ceux-celles qui l'ont découvert récemment), c’est assez bizarre. On dirait un effet de mode, un machin éphémère qui dit « (désormais) la forêt, c’est important ». J’avoue ressentir un peu d’amertume, venue avec la sensation d’être complètement exclu de ce coup de projecteur. Mes livres n’étaient pas assez bons ? Pas dans la dénonciation sensationnellement manichéenne ? Je n’étais pas dans les bons réseaux ? Peu importe, j’avais accumulé de la frustration quant à la médiatisation de la forêt.

 

Du coup quand Guillaume Dumant, réalisateur, m’a appelé,  j’étais content de m’imaginer sortir, un peu, de l’anonymat. Mais j’avais des craintes : que la rencontre soit express, anonyme et que je sois utilisé politiquement.  Mais en discutant avec ledit réalisateur j’ai été rassuré sur  ces points. Ils viendraient 2 jours, nous aurions le temps de faire connaissance et on ne me demandera pas de commenter les activités d’autres acteurs de la filière.

 

Ensuite, ça s’est compliqué. D’abord, je voulais que ça se passe dans mes forêts, celles que je parcours le plus, dont je connais l’emplacement et la composition des tâches de semis et maitrise les dynamiques à l’œuvre, sur une coupe où je me sente bien, avec des arbres à l’abattage ni ridicule ni trop compliqué. Mais surtout, je voulais que mon chantier ait la gueule d’un chantier, et surtout pas d’une mise en scène pour la téloche. Je voulais que Benjamin soit là. Parce que j’aime travailler avec mon collègue, que  je trouve qu’il a la classe et je pense que nous formons une bonne équipe.

 

En septembre, première date choisie, il faisait chaud, j’étais débordé par la sortie de mon dernier  livre et les scieries ne voulaient pas de mon bois (des mic-mac mi-covid, mi-financiers). En face de ça, l’équipe de tournage était sur le point de partir en Guyane.  On a décidé ensemble d’un premier report qui m’allait bien.

 

Puis les journalistes ont trainé de l’autre côté de l’océan. On a reporté une seconde puis une troisième fois. Il ne restait qu’une semaine pour caler le tournage ; le chantier se terminait. Ils annonçaient de la pluie, puis des vents à 100 km/h.

 

De multiples échanges le temps d’un week-end, beaucoup de cogitations et de stress pour accoucher d’une venue de la taille d’une souris. L’équipe de tournage ne serait là qu’une journée et Hugo Clément, qu’une demi-journée. En avion depuis Paris, merde, quoi. Quelque chose m’échappait.

 

Merde, vraiment. Les arbres ont mis 60 ans pour n’être encore qu’à peine des bébés géants qu’on serait ébahis de voir tomber sous l’œil de la caméra. Moi-même j’ai mis 9 saisons de bois à galérer, apprendre, tenter de maitriser un domaine qu’il va me falloir résumer en une demi-journée, au pas de course. Si je suis si bien en forêt, c’est  que j’aime sa lenteur. Se poser, observer et parfois seulement : comprendre. Ça marche pareil avec les gens. La rencontre ça prend du temps.

 

La veille encore, je suis allé repérer la forêt et les arbres. Parce que c’est comme ça, j’aime anticiper les problèmes, j’ai horreur de l’adaptation de la dernière minute. Et potentiellement, ce tournage  est important pour moi, je ne veux pas me louper.

 

 

 

Une fois tout le monde arrivé, tout allait mieux.  Il ne pleuvait pas des cordes, le vent était à peu près tombé. Le réalisateur, les cameramen, étaient sympas, très pros, on rigolait. Malgré le peu de sommeil, j’étais en confiance, mes abattages se passaient bien, ma chaîne de tronço envoyait des copeaux comme je les aime. Hugo est arrivé à l’heure, il ne s’est pas perdu dans le brouillard.  Et j’ai rencontré un type sympa, ouvert, humble dans l’échange et compétent. Bûcheron que je suis, il m’a paru un bon journaliste, absorbant ce sujet de la forêt, comprenant les choses et posant des questions justes.

 

Comme prévu, c’était au  pas de course, il fallait répéter certaines scènes. « Faire le guignol devant la caméra », comment décrire autrement ces fausses vraies attitudes que l’on prend devant des objectifs qui nous tournent autour? Et puis, ainsi que  je le craignais, j’ai dû batailler dans mes réponses pour garder ma position. Ne juger personne : Je fais ce que je crois juste chez moi, parce ce que c’est comme ça que j’aime travailler mais surtout pas pour prouver au monde que j’ai raison ! Ma passion pour la sylviculture et le bois, c’est ça que je voulais transmettre, point.

 

Bref, c’était bien, mais express et épuisant. Putain ! Je terminais mes abattages le cœur à toute bringue. La pression de ne pas louper un arbre, parce que c’est filmé et qu’il y a des cameramen à ne pas écrabouiller.

 

J’allais oublier ! Je me suis foutu un coup de tronçonneuse ! Une branche  coincée comme un ressort qui a projeté ma machine lancée à pleine vitesse dans mon tibia. Mon  pantalon anti coupure a fait son taf et je n’ai perdu qu’un bon morceau de peau. Rien de grave. Je n’étais pas filmé mais quand même, quand même… Avis aux yeux avertis : sur certaines scènes on devrait voir mon pantalon ouvert sur mon tibia gauche.

 

 

 

Le film

 

 

Je suis mal placé pour en parler pour 3 raisons : 1, je connais le sujet, 2, je suis dans ledit film et 3, je suis membre de la filière bois.

 

Sur la partie me concernant, je suis plutôt content, il y a de belles images et j’ai le beau rôle du gentil  bûcheron.  Hé, et puis quand même, j’ai réussi à faire tomber un arbre sur une GoPro sans l’éclater ! Par contre, je trouve ça court, forcément. On avait fait de jolies séquences où l’on montrait le choix d’un arbre, l’amélioration de la qualité, la gestion de la lumière pour des semis, vraiment un cas d’école ! Voilà, j’ai ce regret-là.

 

Plus globalement, et en gros je  trouve ça simplificateur et un peu sensationnaliste mais si ça peut amener plus de monde à s’intéresser à la forêt, c’est plutôt une bonne chose, non? C’est logique : en  tant que professionnel, j’aurais préféré que ça parle un peu moins de flics et un peu plus de sylviculture, sans la musique de fond. Moi je n’ai rien appris, ces abus, je les connais, ces sujets sont traités depuis plusieurs années ... J’ai juste une question : maintenant qu’est-ce qu’on fait ? Comment on construit un autre chemin ?

 

 

 

Mon avis sur la question

 

 

 

J’ai très rarement des avis tranchés sur les choses, et c’est un point qui m’a longtemps taraudé. J’ai beaucoup de mal à m’engager dans la dénonciation (ou l’encensement), quelle  qu’elle soit. Je trouve des excuses aux gens, je pèse le pour, le contre, j’aime comprendre, ce qui rend le jugement difficile.

 

Car dès que l’on creuse un peu, on s’aperçoit systématiquement que les limites sont floues, pleines de nuances et par exemple je ne saurais pas la tracer entre les bons et le mauvais forestiers. Ce n’est pas qu’une histoire de cracher, ou pas sur son voisin.  En simplifiant la réalité en une dualité noire ou blanche, on fait disparaitre l’immense majorité nuancée de gris, souvent silencieuse. Elle disparait de deux manières : un, parce qu’on en parle pas et deux ; parce qu’en caricaturant deux extrêmes on oblige tout le monde à prendre position et petit à petit le discours se radicalise et les échanges disparaissent. Chacun fait alors son truc dans son coin et méprise l’autre.

 

Ouais, je dois être du côté plutôt écolo à privilégier la santé écologique de mes forêts à leur performance économique mais je me sens faisant partie d’une filière dont j’ai besoin pour vivre, avec ses bons et ses mauvais côtés. J’ai des amis forestiers dont je désavoue les actes mais dont je respecte le vécu, la maitrise et la passion et il y a des amis amoureux d’arbres avec qui j’ai dû mal à partager mes paradoxes. Cette fissure artificielle entre bon et mauvais forestier me fait du mal. Je connais les abus, le spectacle des coupes rases me fait mal au bide, mais voir des gens que j’apprécie se détester entre eux m’est encore plus douloureux. Il y a un côté absurde puisque les deux sont des amoureux des forêts, juste de manière différente. Je rêve de dialogue et d’écoute.

 

Bref, j’aime l’idée de  faire partie d’un grand intermédiaire gris.

 

Car petit à petit, j’ai compris que je ne serai pas de ceux qui tapent du poing sur la table mais de ceux qui construisent, proposent une solution. Et cette place me plait énormément : je ne donne de leçon à personne, je fais ce qui me semble être juste dans mon coin et si ça inspire ou aide des gens autour de moi, tant mieux.

 

Le monde de forestiers s’est retrouvé en quelques années le centre de nombreuses remises en questions. C’est extrêmement violent, du jour au lendemain, de passer de l’oubli total au jugement sévère. J’ai de la chance, je fais partie de ceux qui ne sont pas directement visés et considère que davantage de transparence peut faire avancer le schmilblick. Mais n’oublions pas que toutes les professions ne sont pas sur le même pied d’égalité quand il s’agit de remise en question par l’ensemble de la société. Je vois l’agriculture subir ce même regard. Et je constate qu’eux aussi sont en première ligne, en contact direct avec la nature. L’immense question du rapport de notre société à son environnement se centralise alors sur quelques personnes. Moi, cette responsabilité me plaît mais il faut reconnaitre que ce poids à porter n’est pas simple et qu'il peut paraitre injuste.

 

 

 

Bon et alors, qu’est qu’on fait ? Ben, je n’en sais rien, moi.  Je  suis bûcheron, guère davantage. Je veux bien montrer ce que je sais faire mais je ne sais pas si c’est LA solution. J'ai trouvé un équilibre qui me semble fonctionner sur les quelques centaines hectares qui veulent bien de mes réflexions et de mes gestes et je sais que cet équilibre va changer. Il y a 17 millions d'hectare en France, ça laisse un paquet d'équilibre à trouver! De plus, je n’ai rien inventé, juste appris et adapté de que d’autres forestiers ont pratiqué avant moi et je n’ai le monopole de rien du tout.

 

Je crois aux individus, à la diversité. Je pense aussi que la filière bois a besoin de sang frais, de nouvelles idées pour affronter les challenges qui nous attendent. Et c’est en ça que j’espère que ce genre de film peut aider la filière, bien que ce soit une douloureuse  trajectoire (il y en aurait-il une autre?). Si davantage de monde s’intéresse à la forêt, au bois, nos métiers seront mieux valorisés, il y aura de nouvelles vocations, des hommes et des femmes ravi-e-s d’attraper des tronçonneuses, reprendre des scieries et construire des maisons.

 

Mais cela implique que tout le monde se retrousse les manches. Je reprends cette division binaire que je n’aime pas trop mais qui -je dois l’admettre - est bien pratique : Que les gens du bois ouvrent leur porte, répondent à toutes les questions, acceptent de changer. Et maintenant qu’en face, ceux qui se passionnent pour la forêt se mettent à utiliser du bois, du bois d’ici, essaient, apprennent, testent, se plantent, viennent se casser le dos avec nous. Il s’agit maintenant de creuser derrière les idées reçues, se prendre les paradoxes dans la tronche, se méfier des solutions faciles et réaliser que la réalité est complexe. Quant à ceux du grand milieu gris, ils ou elles peuvent devenir des intermédiaires, construire des ponts, de l’échange. C’est primordial, sinon tout ça n’aura servi à rien. Tant de défis, ça va être super, allons-y !

 

Références:

 

Pour joindre le geste à la parole, je vous encourage tous à découvrir ces livres et autres films qui creusent les sujets en détail. C'est une liste absolument pas exhaustive, elle rassemble juste des créations qui m'ont marqué/aidé:

 

Parcelle 228 :  https://www.youtube.com/watch?v=XWobkx9y7m0

Le Bûcheron des cimes  : https://www.youtube.com/watch?v=gbhu_Xd6LpU

Ins Holz (dans les bois) : https://vimeo.com/248072306

Le cueilleur d'arbre : https://www.youtube.com/watch?v=yCz3AmR4tMU

 

forêt, sa gestion et son exploitation :

Le traitement des futaies irrégulières, R. Susse, C. Allegrini, M. Bruciamacchie et R. burrused. Association Futaie Irrégulière. 2009

Un an dans la Vie d’une Forêt, David G. Haskell, Flammarion, 2012

Face aux arbres, Christophe Drénou, Ulmer, 2009

L’arbre, au-delà des idées reçues, Christophe Drénou, IDF 2017

L’art d’Abattre un Arbre, Jeff Jepson, ed. Drayer Fachhandel, 2014

Agir ensemble en forêt,  P Laussel, M. Boitard et G Du Bus de Warnaffe, ed. Charles Léopold Mayer, 2017

 

SCIAGE, la première transformation du bois

La Scierie  française, un Métier d’Expert, Maurice Chalayer, L’Harmattan, 2001

Manuel de sciage et d’Afûtage, Claude Dalois, Centre Technique Forestier Tropical, 1990

La Scierie, anonyme, Héros Limite, 2013

 

TRAVAIL DU BOIS  (menuiserie) :

La Menuiserie, Chronique d’une fermeture annoncée,  Aurel, Futuropolis, 2016

La menuiserie en sièges, Raymond Gillet, Ed. Vial, 1997

La Main Et Le Bois - L’art De Travailler Le Bois, CHARLIE WHINNEY, ROUERGUE, 2019

Make a Joint Stool from a Tree, Jennie Alexander and Peter Follansbee, Lost Art Press, 2012

Lire le bois, Paul Corbineau et Jean-michel Flandrin, Ed. Vial, 2019

 

Et puis aussi, j’en ai écris  3, baladez vous sur le site

 

L’Hiver au bois 2014, autoédition

Une Fois l’Arbre à Terre, 2016, autoédition

Histoires d’un Arbre, 2020, Ulmer