(Réflexions du soir autour de l’idée que certaines coupes de bois me plaisent davantage que d’autres).

Une coupe de bois sociale?

Mardi, j’ai coupé les arbres pour la maison de Mantophe, Chrisdy, Zom et Tia. Des arbres là-bas, dans un recoin de montagne. Des douglas pas spécialement beaux, il y en a 35 ha (paraît-il, je ne suis pas allé vérifier) et au milieu, une piste.

 

Cette coupe, si j’avais dû la faire seul, c’est certain : j’aurais déprimé. Je l’aurais faite, mais sans passion. Ça m’aurait probablement pris plus d’un jour, ou bien j’aurais bourriné pour tout faire rentrer sur une seule journée, même longue.

 

Mais non,  j’avais envie de bosser avec Olivier, qui habite pas loin, même si je n’étais pas sûr qu’il y ait du taf pour une journée à deux. Je ne voulais pas être seul, pour des histoires de sécurité mais avant tout pour rencontrer Olivier. Et j’ai eu raison. C’était sympa, on a discuté, fait connaissance, on s’est marré, on a torché ça en une petite journée. Bordel que c’est beau deux tronço de concert quand elles racontent le même plaisir d’être au bois ! Ensuite on est allé chez lui. Il habite à 5 minutes de la coupe. On a regardé sa maison en construction, ses tracteurs, ses piquets, son tas de billons à bardeaux qu’il a serré pour moi.

 

C’était bien.

 

Et aujourd’hui, j’ai coupé les douglas pour la maison de Bam et Laxe, leur casino, comme ils disent. Les douglas étaient bien plus jolis, dans une parcelle version mouchoir de poche de la propriété de Daclu, à 50m de la ferme de Gourdbi, à 200 m du Moulin où m’attendait Bam avec sa bonne humeur et un plat de lentilles pour midi. 

 

La parcelle est petite et j’ai fait le choix de tout abattre vers l’intérieur, (quitte à passer du temps, il faut mieux s’emmerder à détricoter le challenge d’un chantier bien ficelé qu’à ranger des branches dans la prairie). Alors c’est assez technique et ça se passe bien. Quand il est là, il dévaste tout mon plaisir de faire ce métier.

 

Longtemps laissée à sa libre croissance, la forêt a mis son bazar, mais les douglas étant connus pour bien se différencier les uns des autres lorsqu’ils sont en concurrence, une hiérarchie s’est créé entre ceux qui sont sortis du lot et dominent, ceux qui sont indécis et ceux qui sont en dessous, la cime cassées ou simplement séchés.

 

Elle est pleine de leçon, cette mini parcelle. Et une fois de plus, je constate que ça fait drôlement de bien aux douglas d’être laissés à leur compte, tranquilles à se tirer la bourre. Inutile d’intervenir avant 30 ans pour couper des allumettes. Ça vaut mille fois le coup de ne venir  qu’une fois que les diamètres donnent vraiment envie aux tronçonneuses.

 

Et je m’applique avec joie, parce que je sais que Laxe, qui charpentera derrière mes tronços, est davantage méticuleux que moi. Et je regarde longtemps les arbres, content d’observer qu’ils ont des accroissements serrés et des branches fines. Vraiment,  j’espère que  le scieur et le charpentier auront le même plaisir que moi. Ça devrait aller, ils auront la même vue !

 

30m3 de bois au sol, chantier terminé, je pars en week-end l’esprit tranquille et heureux d’avoir rendu service à des amis. Laxe, en vadrouille pendant ce chantier m’enverra une carte pour me remercier pour le temps passé et la hâte de poursuivre le travail ensemble.

 

La semaine suivante, on a coupé  des frênes pour qu’Eddy puisse en faire des cadres de vélo. Des cadres de vélo en frêne (Gastaboy, c'est le nom de sa marque). Il faut voir le niveau de détail, de précision, de contraintes qu’il met sur des bouts de bois ! Des arbres bruts, coupé dans le fracas de coups de tronçonneuse, ces fibres transmises à un copain et elles deviennent  un produit  qui transpire l’excellence. A peine abattu, on a fendu ces bouts de bois en quartier, pour qu’elle commencent à sécher… En s’écartant, ces billons nous montraient leurs secrets, et on a compris tous ensemble que les billes de pieds étaient chargés de contrefil et de fibres torses, que cela ne conviendrait pas à Eddy. Alors on a retirés ces billons d’un commun accord évident. Des débits en quartier ! C’est habituellement réservés aux meilleurs bois, destinés à la lutherie. Ma naissance de bûcheron s’est faite avec la certitude que jamais je n’aurais la chance de voir mes bouts de bois connaitre cette destinée suprême. Merci Eddy. On a discuté ensemble en caressant le bois d’où tirer le meilleur bois, quelles planches pour quelles utilisations, quelle position dans le cadre. Une demi-journée pour couper deux arbres, et quelles leçons !  Ça y est, je veux un vélo.

 

Tous mes chantiers ne sont pas ainsi animés en visites, en discussions, en échanges. Quand cela arrive, je suis content d’être seul dans mes bois, parce que c’est rare. Mais en vrai je ne suis jamais vraiment tout seul. Je réalise en l’écrivant que j’ai toujours une raison humaine pour aller couper un arbre : soit j’apprécie le propriétaire, soit l’utilisateur, soit la personne qui m’emploie. Je n’ai pas envie que cela change.

 

En vrai, est-ce que ça veut dire quelque chose «  la dimension sociale d’une coupe de bois » ?

 

 

 

En guise de réponse, le Réseau pour des Alternatives Forestières a identifié 4 critères à observer :

 

- Le plaisir, le goût du travail : Ai-je envie de faire, de transmettre ?

 

- La condition physique : Est-ce que je respecte mon corps ? Maintenant et dans la durée ?

 

- La rémunération : Est-ce que je suis payé correctement de mon point de vue pour le travail que j'effectue ?

 

- La reconnaissance sociale : Est-ce que mon travail est reconnu par mes pairs.