La pluie

 

Ma relation à la pluie n’est pas simple.

 

 

Les premiers souvenirs  de mauvaise météo que j’ai remontent à une loitaine enfance où je me revois sur un canapé lit calé contre une fenêtre chez mes parents. C’est une grande fenêtre face à La Montagne Noire. Je ne sais plus s’il pleuvait mais le temps était humide et des plis de la montagne se détachaient des bouts de brumes, ils se mélangeaient aux nuages bas. Un temps gris, peut-être froid. Ce jour-là, je me rappelle que l’on jouait avec mes sœurs, en pyjama tous les trois, notre lit était un bateau, un vaisseau spatial, ou autre machin d’enfant. Autre chose de jeune garçon : j’avais un lance-roquette et les lambeaux de brume étaient des explosions.

 

Ce que je retiens de ce souvenir, c’est le confort d’être au chaud à l’abri et le plaisir de regarder par la fenêtre le temps dégueulasse sur la montagne. Et que je ne suis pas devenu tireur de missile.

 

 

Plus tard, avec mon pote Doxe, suite à un épisode d’inondation dans la vallée où nous vivions, nous reconstruisions des paysages fictifs dans son tas de sable, avec des hameaux, des fermes, des routes… et Irrémédiablement, le terrible advenait : nous dévions une source à proximité et de gros flots détruisait tout sur son passage, malgré les tractopelles dont nous actionnions l’inutilité. Les bottes dans l’eau, l’automne battait son plein et nous étions heureux comme des gosses.

 

Bref, petit, je crois que j’aimais bien la pluie.

 

 

Ça s’est gâté à l’adolescence, période de ma vie que je n’ai pas beaucoup appréciée, et s’est associé au mal-être de l’époque le temps gris, l’attente du bus sous la pluie, la bouillasse. J’ai dû un peu vouloir fuir tout ça : L’ailleurs était une vie en ville, dans le confort d’un appartement en haut d’un immeuble, loin du sol, avec une vue. Je voulais rencontrer des gens et exercer un métier « intellectuel ». J’ai passé un master en Architecture.

 

 

Et puis je suis revenu, temporairement d’abord, à cette Montagne Noire, aux forêts, la boue. Je croyais que c’était temporaire. Puis mes racines m’ont rattrapé et j’ai fait le choix de vivre de bois et de dessin. Le choix s’est fait relativement rapidement : plus ou moins une année (par la suite, la construction de la vie qui me plaisait a pris plus de temps, quasiment 10 ans, pour que je me sente à peu près en place). Mais pendant cette période de transition ou je tournais progressivement le dos à ma vie d’architecte, j’ai eu le temps d’être plusieurs fois envahi de doute. Et je me souviens en particulier d’une fin de journée de bois. Je finissais de ranger des bûches dans un champ où la terre, piétinée par des aller-retour de tracteur n’était plus que boue collante. Et les pieds mouillés dans cette bouillasse, j’ai pensé très fort : « Mais qu’est-ce que tu branles ? C’est vraiment ça que tu veux : le gris, la gadoue et les pieds trempés ? ».

 

 

 

Si l’enfance était une première partie de vie, une deuxième serait cette phase pleine d’incertitude et de doute. La pluie semblait y coller irrémédiablement. Et oui, depuis je n’aime pas beaucoup la pluie, la boue et les vêtements qui collent à la peau.

 

 

 

Il faut dire que le recoin de Tarn où je vis est très arrosé. 1500-1600 mm/an. Il n’y a pas beaucoup de neige l’hiver, pas mal de chaleur l’été mais il pleut beaucoup, il y pleut de l’eau qui vient de la Méditerranée et de celle qui vient des Océans, La Montagne Noire étant coincée entre les deux influences climatiques, elle prend la double saucée.

 

 

 

Quand on travaille en forêt sous la pluie, je trouve qu’on fait du sale boulot, on ajoute des couches vestimentaires de plastique, qui font transpirer en dessous, tout colle, l’inconfort créé mauvaises positions, mauvaises décisions, on perd en précision. Et si tu débardes, c’est pire que tout. Le sol se dérobe sous les roues du tracteur en même temps qu’il compacte comme de la pierre lorsqu’il sera sec, tu salopes les pistes, les billes bois sont pleines de terre. Je ne considère pas la boue comme sale, mais je l’associe  à l’inconfort,  et au sale boulot et oui, je déteste ça.

 

Alors que si je reste au chaud, je trouve enfin le temps de faire mes papiers, de ranger, souffler un coup, écouter mon corps dire ses douleurs, préparer la suite, dessiner ou écrire ce texte et regarder la montagne en buvant du thé et en écoutant la musique. Je regarde les forêts en face de moi et je pense à ces arbres que je côtoie. Et je suis content qu’ils aient à boire. Parce que si je n’aime pas beaucoup la pluie, je déteste encore davantage les chaleurs étouffantes, mais ceci est une autre histoire.

 

 

Je croyais que c’était un état de fait : « la pluie c’est nul, point ». Mais je vois la pluie qui glisse sur le moral de Benji-Man comme sur son imper, serait-ce alors une sensation construite ?

 

Et cette année 2022, j’ai fait plusieurs journées sous le déluge, plus ou moins par choix, sur des tâches adaptées, content de pouvoir continuer à avancer, avec une bonne veste récemment acquise. Alors que les travaux de ma nouvelle maison touchent à leur fin, je me plais à envisager ma future saison avec un garage ou me garer à l’abri et affûter mes tronçonneuses, une chaudière chaleureuse, gavée de bûches où faire sécher mes habits.

 

 

Je ne sais pas ; peut-être vais-je retrouver le plaisir de faire ce que j’aime sous les gouttes ?